J’ai choisi d’être un cancre

Illustration représentant une femme toute nue qui envoie en l'air des papiers de cours et s'amuse dans les couloirs
Illustration par Audrey Bourdin pour Soleyne Joubert

C’est lundi et je pénètre dans les bureaux, pied gauche, pied droit,  échevelée, les yeux hagards et rouges. Légèrement molle à l’idée de la  semaine qui recommence, pied gauche, pied droit, mais heureuse, car j’ai  un plan. 

J’ai traversé les longues artères bétonnées de Sydney sur mon petit 150  beige qui fait un bruit de tondeuse à gazon pimpée, depuis que j’ai semé  tous les boulons qui empêchent le moteur de trainer sur la route. Je n’ai pas tout saisi des explications de Terry le garagiste, trop préoccupée que  j’étais par l’aspect phénoménal de ses 180 kilos qui semblent s’être  amassés directement sur ses chevilles. Terry s’est penché pour regarder  en dessous du scooter en soufflant comme un boeuf et j’ai eu peur qu’il  ne puisse plus jamais se relever. Son constat était plutôt alarmant et de  gros dollars se sont mis à flotter tout autour de lui. Money money money.  J’ai dit: 

-Ok merci, je reviendrai demain. 

Je ne suis jamais revenue et mon scooter menace d’exploser à chaque  accélération, m’attirant le grief des autres utilisateurs de la route. Les  passants courent pour évacuer le passage piéton lorsqu’ils m’entendent  débouler, les chiens aboient comme des putois, les motards se poilent  ouvertement devant l’aspect misérable de ma becanne trouvée dans un  kinder surprise, et les automobilistes frileux klaxonnent rageusement, bien  au chaud dans leur gros Range Rover. 

C’est lundi et je déboule dans le garage de News Corp, les rétines  couvertes de moucherons kamikazes et sourde comme un pot, mais trop  heureuse d’avoir un plan. 

Hop je retire le casque spécial-coupe-au-bol et m’engouffre dans la porte  tourniquet avaleuse d’âmes. Le Cancre de Prévert raisonne dans ma tête  et je me dis que ce poème a forcément été écrit pour moi. Le Cancre est  debout, on le questionne, on le menace et on le hue, il se laisse un peu  faire par ceux qui n’ont pas d’humour et d’imagination. Juste le temps de  réaliser la petitesse de leur esprit. Puis tout à coup, sans bien savoir  pourquoi, c’est le craquage, le pétage de plomb. il se met à se poiler  devant toute la classe et part totalement en live. Le rêve de toute ma vie:  vomir sur le bureau de la maîtresse, mettre le feu aux cheveux de la  standardiste, danser nue dans les couloirs et crier “ciao bye bye” à tout  bout de champ, en arrachant les pages de mon cahier une à une comme  une forcenée. 

Au lieu de ça j’ai piétiné depuis trois ans, couru les promotions, bu des  cafés qui puent l’adulte, mis de l’eau dans mon vin et dans ma boîte crânienne, juste histoire de ne pas trop en baver d’espoir. Les illusions  sont des chiennes. 

Et puis un matin tout a changé. J’ai jeté un oeil à l’encre tatouée sur mes  côtes qui dit Volver et qui, au delà d’être une erreur de parcours, est une  promesse faite à mon jeune moi de ne pas me laisser aller à la médiocrité  du quotidien. Volver, l’appel au retour, l’appel à se souvenir, pilule bleue,  pilule rouge. C’est toujours ce même choix qui revient. 

Grandir c’est faire des choix, et j’ai choisi d’être un cancre. Je quitte l’Australie. 

Je plie bagages

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